immersion dans votre monde
2 mois et demi au bas de l’échelle salariale du monde moderne :
le manutentionnaire de grande distribution.
je me revois encore à genoux, à 41 ans, entourée de trois employées
de rayon, en train de nettoyer le yaourt que l’une d’elle avait
renversé au sol. et je l’entend encore me dire quelques minutes plus
tard, du haut de ses 24 ans, que j’étais à ma place, là, à ramasser
son yaourt, car “c’est mon poste”. quand j’y repense, il n’y avait
là aucune méchanceté volontaire.
(…)
je suis donc resté ‘à ma place’ jusqu’à la fin de mon contrat.
et me voilà de retour, libéré, délivréééééééé (oui, j’ai des enfants)
ce passage rapide dans le monde du travail moderne m’a ramené à tout ce que j’ai fuit : rapports humains hiérarchisés, négation de la personnalité en faveur du ‘poste’, rumeurs et délations, bref… le monde moderne, notre quotidien à tous… mais je l’avais oublié, chanceux que je suis d’être pauvre (selon l’insee), vieux (selon pôle-emploi), sans ambition et sans emploi (fixe).
oui, je sais, vous allez me qualifier de grand naïf, genre
bah oui, c’est ça la vie…
et bien vous ne devriez pas être si blasés, si habitués : on a pas à se
laisser traiter comme une sous-merde par un ‘supérieur’ sous prétexte
qu’il tient notre avenir professionnel entre ses mains…
je me suis engagé, j’ai signé le ‘contrat’, donc je suis resté par
principe, et parce que dans un village, mieux vaut tenir ses
engagements : ça n’empêche pas les connards de baver, mais le temps
fait que la vérité ressort forcément et puis un engagement de 2 mois
et demi, j’aurais vraiment été nul de le signer pour me barrer au bout d’un mois…
en revanche, hors de question que je renouvelle l’expérience avant un bout de
temps… la pauvreté est nettement plus humaine que ce simulacre de relations.
je préfère être “assisté” qu’esclave…
et là, vous me dites logiquement qu’en tant qu’assisté, je suis esclave du
système d’allocations… ce qui est faut. en fait, c’est pire : je suis
esclave d’un système global, un système qui me laisse le choix entre :
- travailler sans relâche et sans voir ma famille, pour subvenir au besoin et au bonheur de .... ma famille
- être un assisté
elle est où la troisième voie/x ? l’alternative, le choix, la liberté ?
disparus. tout a disparu depuis bien longtemps et le système commercial est
devenu le seul système ayant une valeur pour un paquet de gens que j’ai du
mal à appeler “humains” du coup.
et pourtant ce sont des humains…
je me rends compte que je suis navré, tout simplement navré pour tous ceux
qui s’oublient, qui se laisse absorber, boulotter par une organisation qui
apparaît comme inévitable, alors que les alternatives sont nombreuses.
le courage manque…
le courage de regarder sa famille et de lui dire que ça va être dur, mais
que ça va être humain au moins…
le courage d’accepter un peu moins de confort, de facilité.
le courage de regarder un employeur et de lui dire tout simplement
“non merci, je vais rester humain.”
dans un monde ou il est de bon ton de dire oui à tout, le courage se résume désormais au non.
alors non, je ne céderai pas aux mirages du capitalisme et se vie soi-disant
facile, je préfère ma vie simple.
non, je ne plierai pas devant les pressions sociales, devant cette ambiance
pourrie et ses sentences martiales genre “le monde appartient à ceux qui se
lèvent tôt”.
non, je n’aurai pas de téléphone portable, ni de télévision.
non, je ne rachèterai pas de voiture, cette engin présenté comme une libération
et qui a tout bonnement permit aux esclavagistes modernes de ne plus se prendre
le choux avec l’approvisionnement en main d’œuvre, le tout en polluant
allégrement la future atmosphère de nos enfants.
et après être resté au sein de cette “entreprise” pendant 2 mois et demi, je me rends compte à quel point cette machine du travail est déshumanisante… le hiérarchisation des rapports humains fausse tout contact, toute parole. même les regards sont faux, calculés, fuyants. on ne sait pus comment se comporter entre ‘employés’ … au cas ou le ‘patron’ passe par là.
je suis conscient que plusieurs personnes s’éclatent dans leur travail et ne deviennent pas des machines, mais la proportion est tellement faible, qu’ils ne servent que d’exemple pour justifier le reste des saloperies quotidiennement imposées aux salariés du monde entier :
mais regardez, ils sont heureux ceux-là, donc c’est bien les autres qui foutent rien !!....
désolé pour vous gentils travailleurs épanouis…
il m’est arrivé (à l’époque de mon ‘patronat’) de nettoyer l’arrière de mon
bar à la brosse à ongle… mais je n’aurais jamais osé le demander à un
“employé”… faut pas déconner !
je rêve de m’expatrier dans un pays où je pourrais travailler la terre en la respectant, et en tirant assez pour nourrir ma famille et les voisins avec, pour faire du troc et vivre simplement. mais ce pays n’existe plus. il est déjà conquit par coca-cola et google, sali par les hommes de petite moralité avec leurs grands projets.
alors si ce pays n’existe plus, il faut le reconstruire, le faire émerger de cette fange que l’on nomme “civilisation”, le faire éclore comme une pâquerette des prés, s’épanouissant non loin de la bouse encore fumante. une jolie fleur d’anarchie, qui fait la nique aux belles roses des serres, bien rangées et formatées, nées pour être coupées, emballées, vendues…
alors que c’est tellement beau une fleur d’anarchie
++
arp