équilibre des distances
la distance nous sépare de l’autre et définit ce que l’on nomme vulgairement
“l’espace vital”, la “bulle personnelle”. lorsque l’autre s’introduit dans cet
espace sans y être invité, le corps et l’esprit se crispent dans un réflexe
humain de survie, vieille trace de l’époque ou toutes les créatures voulaient
nous bouffer… lorsque l’autre s’en éloigne alors qu’il y est invité, la
frustration de l’ego qui veut être aimé se réveille et la peur de l’abandon
l’accompagne.
la gestion de cette distance s’est codifiée en convenances et savoir-vivre,
la civilisation a atténué le danger de devenir le repas de l’autre. la
politesse et la courtoisie nous font croire à l’entente cordiale…
et alors que je m’approchais du tout, je m’éloignais de tous…
j’étais un garçon impulsif et plein de colère, m’attachant aux détails et
aux circonstances pour justifier une attitude générale nauséabonde.
en bref, un ptit con.
je tente depuis plusieurs années maintenant, de me libérer des carcans
de la pensée occidentale, compétitive, quantitative, pour me rapprocher
de l’humain. sur ce chemin, j’ai croisé un nombre certain de marchands de
rêves : religieux, économistes, philosophes, politiques… tous persuadés
de détenir une solution globale, tous convaincus que l’immense diversité
humaine peut être cadrée, quantifiée, code-barrisée.
vous l’imaginez, je n’en suis pas. je ne crois pas au mode d’emploi car
avec l’humain, ça dépend. mais je constate qu’une grande majorité d’occidentaux
se calent sur ces manuels, sur ces normes admises comme bénéfiques car
soi-disant décidées par le peuple grâce au vote.
pire, cette déresponsabilisation individuelle autorise l’humain a classer
ses semblables, identifiant l’autre de manière très précise (et forcément
tronquée) afin de s’en dissocier et pouvoir sans scrupules, le regarder se
faire tuer à la télévision sans en avoir le sommeil troublé. pourtant ce
sont des humains comme nous, des femmes, des enfants, des hommes… mais
il suffit de quelques détails pour les faire passer de l’autre côté…
le côté où tu peux crever à la télé…
témoin quotidien de ces comportements, je me suis senti attiré par les philosophies orientales prônant le détachement. mais tout en lisant je ne puis me résoudre à envisager un tel éloignement humain. j’ai conscience que l’amplitude des émotions révèle les pires douleurs, mais s’illumine aussi des plus belles passions. il me fallait donc trouver un autre chemin qu’une vie d’ascète.
cherchant à me libérer du détail pour toucher l’essence, mais sans toutefois
rejoindre le détachement, je me trouve de fait dans une situation
délicate en matière de gestion des distances.
lorsqu’une situation conflictuelle se présente, je tente de la mettre en
perspective, de diluer la colère dans la compréhension, d’atténuer la
douleur sans toutefois être fataliste, de proposer des solutions sans
être professoral. tout ceci dans le but d’être humain et de me rapprocher
des autres, en les aidant à moins souffrir.
raté …
lorsque la vie nous gratifie d’une période de calme (si ça arrive des fois…),
j’essaie d’en profiter calmement (c’est thématique) mais aussi de revenir
sur certains comportements ayant engendré des souffrances afin de les
identifier et ne pas les reproduire. alors oui, c’est chiant de parler des
choses qui fâchent quand on est pas fâché, mais c’est idéal pour en parler
sans passion exacerbée, sans émotion débordante. même si je préfère nettement
régler le problème quand il se présente, il est parfois nécessaire de
synthétiser une pensée, une idée, afin de l’exprimer clairement et ainsi,
briser un cycle néfaste.
raté …
alors que je parvenais à ce qu’on pourrait appeler la paix intérieure, je décelais le doute, une certaine animosité, et même de la colère chez mes interlocuteurs. je croyais me rapprocher de l’humain et je m’aperçois aujourd’hui que prendre du recul implique une notion réelle d’éloignement, que cet éloignement est perçu différemment selon les humains, et que toute l’astuce pour parvenir à une situation d’échange réside dans la gestion de l’équilibre des distances.
la paix est souvent perçue comme de la condescendance, et provoque alors
l’effet inverse de celui désiré. les comportements issus de cet état d’esprit
sont très révélateurs : on reproche souvent à l’autre de réussir là où on n’y
arrive pas… une sorte de jalousie à peine déguisée qui transforme une
relation d’échange en une démonstration d’ego.
et c’est ainsi que l’envie de partager, le travail personnel, la recherche
de la paix, provoquent une situation paradoxale de conflit.
pour tout dire, je suis assez désolé, au sens propre, celui de la désolation, de ne pouvoir stopper ces cycles nauséabonds qui polluent nos vies. la solution est pourtant simple et identique à chaque fois : accepter de sortir du cycle. mais bien sûr, cela implique l’acceptation de l’inconnu, de la nouveauté, la vraie, pas celle de la publicité…
une prise de conscience n’est jamais anodine. elle marque un moment, un nœud.
il y a un avant et un après.
comment partager avec l’autre lorsque sa base de réflexion est l’individualisme
et qu’il est persuadé qu’aucun autre axe de pensée n’existe ?
comment contribuer dans un monde qui s’éloigne, qui s’enfuit vers sa propre fin …
jusqu’ici ça va… jusqu’ici ça va…
voilà l’énigme qu’il me reste à résoudre pour parvenir au réel équilibre des distances : celui qui me permettra de garder le recul suffisant tout en continuant à contribuer à cette humanité qui m’éclate tellement.
++
arp